Les accords sans fautes des professionnels

Les accords sans fautes des professionnels

Les artisans de bouche révèlent leurs alliances idéales entre la bière et les mets.

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Mehdi Kamel-Parailloux Barman, mixologue «jamais vu de compétition imposant la bière»

Mehdi Kamel-Parailloux est un artiste du cocktail. Entre ses pattes, la confection du plus banal des Long Island devient un spectacle aérien. A mi-chemin entre le jongleur de cirque et le barman expert en mixologie, le jeune homme de 25 ans est flair bartender. Traduction : derrière son comptoir, il attrape les shakers, les bouteilles d'alcool, les petites cuillers et fait valser l'ensemble dans les airs pour accoucher d'un cocktail fruité ou crémeux. Aujourd'hui chauve-souris des nuits parisiennes, Mehdi Kamel-Parailloux fut aussi rugbyman amateur. Impossible pour lui de ne pas associer l'amertume de la bière aux troisième mi-temps«C'est le club-house, les potes, le dimanche après-midi», lâche-t-il dans un petit sourire.

Arrivé troisième au championnat de France de Flair Bartending en novembre, il regrette : «Je n'ai jamais vu de compétition de cocktail imposant la bière comme élément de base.» Lui a déjà réfléchi à quelques assemblages : «Le cidre, la bière et le sirop de pêche peuvent très bien aller ensemble. Ou une bière avec de la liqueur d'amande et du jus d'orange.»

Mais le summum reste le mojito revisité, inventé par un barman épris de liberté. Avec dix feuilles de menthe, un demi-citron coupé en quartiers, ajouter un peu de sirop de piment, puis piler le tout. Ensuite, remplir le verre de glaçons (pilés eux aussi). Verser le rhum. Agiter l’ensemble avec une cuiller (de bar, évidemment) et compléter avec une bière légère comme la Desperados.

Hugo Desnoyer boucher «Aujourd’hui, On trouve du très haut de gamme»

«La bière, c'est rafraîchissant et cela tape moins qu'un vin, entonne Hugo Desnoyer (1), pointure de la tradition bouchère qui opère à Paris. Aujourd'hui, on trouve du très haut de gamme, de beaux produits qui offrent une large palette de goûts. Sans compter le plaisir du geste et de la dégustation.» Ces nobles bières, l'as de la découpe n'en propose pourtant pas à sa table d'hôtes, accolée à sa boucherie. Un temps, une bouteille artisanale de la brasserie de Vézelay, en Bourgogne, a eu le privilège d'apparaître à la carte, «mais les gens ne voulaient que du vin». Une question d'éducation, selon lui. Nul doute, en revanche, que blondes et brunes seront à l'honneur dans sa nouvelle boutique qui ouvrira, en avril, au Japon, «pays qui a la culture de la bière»«Elevé au cidre», l'artisan originaire de Mayenne n'hésite pas à «jouer» avec la bière dans ses recettes. Dans ses ris de veau, par exemple, qu'il colore à la poêle, parsème d'échalotes et déglace avec une bière marquée, «une rousse ou quelque chose de costaud», avant d'y déposer des cacahuètes grillées et concassées. Un plat de fête qui peut s'apprécier avec une blanche. Ou dans sa pintade, emmaillotée dans de la poitrine fumée entourée d'échalotes entières à confire et de fenouil émincé qu'il fait cuire, à la cocotte, dans une bière blanche. Le tout à savourer avec une rousse. Autre suggestion : un tartare de bœuf et sa réduction de bière et de sauce soja, servi avec une moutarde de Crémone et une bière avec une pointe d'amertume.

Romain Olivierfromager «Un troisième goût doit apparaître»

«Ma région produit un vin qui mousse, fabriqué à base de houblon. Ça s'appelle la bière.» Le décor est posé. A Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), depuis toujours, Romain Olivier associe ses meilleurs produits avec le breuvage le plus répandu du coin. Chez les Olivier, on est affineur et marchand de fromages depuis 1907 (1). Leur croyance : «Difficile de faire des erreurs en mélangeant les boissons d'une région avec des produits issus du même endroit.» D'ailleurs, depuis toujours, le vieux-boulogne, un fromage à pâte molle à base de lait cru de vache, est brossé avec une solution d'eau, de sel et de bière artisanale. Pour une association réussie, l'équation est simple, «il faut que ça fasse 1 + 1 = 3. Le fromage en lui-même apporte son goût. Derrière, la gorgée de bière en apporte un autre. En associant les deux en bouche, un troisième goût doit apparaître.» Selon le professionnel, pour provoquer cette synergie, rien de mieux qu'un Crémet du Cap Blanc Nez, ou un chaource avec une bière blanche légèrement citronnée. «Dans ce cas, le jeu d'acidité est très intéressant», se pourlèche-t-il. Avec une blonde ou une ambrée très légère, de vieux comtés en copeaux ou une très vieille mimolette feront un assemblage assez fin à se glisser sous le palais. Pour les plus ambrées, rien de mieux qu'un fromage à pâte molle à croûte levée. Comme le maroilles, le cœur d'Arras, le saint-rémois ou le munster. «Il faut que ni l'un ni l'autre ne soit dominé», prévient Romain Olivier. Pour bien terminer le repas, une bonne gaufre à la cassonade accompagnée d'une bière légère reste le must.

 

Christine Ferber pâtissière «Un sabayon avec une bière de printemps»

Ses premières gorgées de bière, celles qui ont compté, Christine Ferber (1), pâtissière, chocolatière et confiseuse, les a bues à Bruxelles, là où elle a appris son métier. Sa préférée de l'époque : le lambic, une bière de fermentation spontanée «très douce et fruitée qui se boit comme de la limonade, mais gare au retour de bâton !» Depuis, la «reine des confitures», référencée dans les boutiques les plus prestigieuses de la capitale, a retrouvé son Alsace natale, une «région où on a toujours planté du houblon et qui ne manque pas de bières artisanales».

Niedermorschwihr (Haut-Rhin), petit village où elle exerce son art, le breuvage s'invite parfois dans son chaudron. «Quand il est mêlé à la pomme, son âpreté offre un joli mélange avec le sucré du fruit.» Dans sa cuisine, la bière peut aussi servir à faire un sabayon. «Confectionné avec une bière de printemps, il sera parfait pour napper un gratin de rhubarbe et de fraises passé à la salamandre.» Et pourquoi ne pas opter pour une bière en accompagnement des pâtisseries de fin d'année ? «On peut choisir une bière épicée avec un bavarois au chocolat noir ou au lait, mais on optera plutôt pour une bière plus douce, aux saveurs citronnées, avec un gâteau aux notes exotiques.» Un conseil qui vaut pour une spécialité de la maison, le «Colette passion», une dacquoise garnie de crème mousseline aux fruits, recouverte d'un dôme d'ananas en bâtonnets et de dés de mangue. Autre idée de Christine Ferber pour les fêtes, le sorbet à la bière : «Légèrement citronné, servi dans un verre et arrosé d'une bière douce, il fera un trou normand idéal.»

Gilles Vérot charcutier «Les produits rustiques s’y accordent»

Au début, Gilles Vérot (1), charcutier de tradition présent à Paris, Londres et New York, n'était pas «forcément très chaud» à l'idée de confier ses jambons à l'os, pâtés de tête et autres saucissons aux charmes de la mousse. Pas «très pointu en bière», l'homme, star montante de la cochonnaille, écouté jusque dans les amphithéâtres de Sciences-Po où il donne des conférences de stratégie commerciale, en pince plus pour le vin. «Mais les produits assez rustiques s'accordent plutôt bien avec la bière», concède-t-il. A commencer par «la choucroute, plat de décembre et du froid», qui s'impose comme une «évidence», suivie de près par le saucisson sec, les terrines, les pâtés de campagne. Puis il s'est montré plus audacieux, proposant de marier son pâté en croûte à la volaille et à la pistache avec une bière blonde ou encore sa terrine de porc noir de Bigorre, «puissante en goût», avec une bière ambrée. A moins que cette dernière ne file le parfait amour avec une terrine de grouse aux coings. Et pour une blanche ? Une galantine de canard au foie gras pourrait lui seoir à ravir. Tout comme une belle assiette d'escargots. «La bière va avec des produits puissants, explique Gilles Vérot. Ce n'est pas une question de noblesse, mais avec des produits trop fins, elle risquerait de casser le goût en emportant le palais.» Et de conclure que l'apéritif reste, pour lui, le moment idéal pour faire se rencontrer bières et charcuteries, en conviant saucisses sèches, andouillettes et greniers médocains à la table.

Jocelyn Bérubé brasseur «Une palette de saveurs quasi infinie»

Tout a commencé par une chope de bière belge sirotée, à 16 ans, dans un bar québécois, raconte Jocelyn Bérubé, aujourd'hui brasseur. Son métier, le Canadien l'a apprivoisé en autodidacte à Montréal. C'est aussi là qu'il a rencontré sa femme, Maily Malfreyt, qui lui a présenté son frère, Laurent Malfreyt, chef cuisinier français. Ensemble, ils ont découvert la Californie, temple de la bière artisanale, et se sont forgé un rêve commun : ouvrir un restaurant faisant la part belle aux accords mets-bières. Mais pas n'importe lesquelles, des bières artisanales «faites avec de l'amour et des ingrédients 100 % naturels». Depuis deux mois dans le Xe arrondissement de Paris, leur adresse, le Triangle (1), propose huit références à la pression venant des quatre coins du monde, et, bientôt, des bières maison brassées sur place. C'est à table que les trois compères piochent dans cette «palette de goûts quasiment infinie» pour trouver de belles surprises. Servie en demi ou en galopin, «pour goûter sans s'enivrer», la bière est de tous les plats, y compris ceux des fêtes. Leur repas idéal pour le réveillon ? Un saumon gravlax et sa sauce au raifort, à savourer avec une Calypso, bière légère, acidulée, aux accents d'agrumes, fabriquée en Angleterre. Puis, un filet de bœuf Rossini, son foie gras poêlé et sa pomme Darphin, servis avec une brune aux arômes maltés et caramélisés. Sans oublier le traditionnel brie de Meaux farci aux truffes et au mascarpone, sublimé par une Brooklyn Sorachi Ace, bière américaine brassée à partir d'un houblon japonais. Pour finir sur un tiramisu accompagné d'une bière noire au café.

Patrick Roger chocolatier «Cacao et houblon, union du feu de Dieu»

A 46 ans, Patrick Roger l'assure, il n'a jamais été ivre. Son seul excès ? Les chocolats, qu'il peut engloutir par lot de 50, 60 ou 100. Quand il va au bistrot, il commande de l'eau, jamais d'alcool. Le chocolatier (1) n'a rien du pilier de comptoir, mais il est le créateur d'Hypoxie, un chocolat à la bière dont il parle avec gourmandise. «C'est sublime. Ça marche du feu de Dieu, cette alliance», lâche-t-il d'emblée à propos du mariage de l'amour de sa vie, le chocolat, avec le houblon.

Réalisé par Libération

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